Grand écran: "L'Outsider" raconte l'affaire Kerviel. Un thriller passionnant (21/06/2016)
En 2008, Jerôme Kerviel défrayait la chronique, passant à 31 ans de l’anonymat à la célébrité en faisant perdre près de 4,9 milliards d’euros à la Société générale. Deux ans plus tard, il était condamné à cinq ans de prison dont trois fermes et aux plus lourds dommages-intérêts jamais vus pour un particulier: 4,9 milliards…
La banque a nié avoir eu connaissance des prises de risque énormes de l’ex-trader. Pourtant fin 2007, il a fait gagner 1,5 milliard à son employeur. Là aussi du jamais vu dans les salles de marché de la Société générale.
Alors que la cour de prud’hommes de Paris, immense coup de théâtre, a condamné l’établissement à payer plus de 450.000 euros à Kerviel pour licenciement «sans cause réelle ni sérieuse» le 7 juin, et que son nouveau procès en appel dans le cadre du volet civil de l’affaire s’est ouvert le 15 juin, sort L’Outsider. Un biopic retraçant son ascension fulgurante et sa chute brutale.
S’arrêtant à la découverte du scandale et ne couvrant donc pas le feuilleton judiciaire et ses rebondissements, il est signé Christophe Barratier qui, ne connaissant rien à ce monde, s’est notamment inspiré du livre de son héros, paru en 2010: L’engrenage: mémoires d’un trader.
Excellente interprétation d'Arthur Dupont et François-Xavier Demaison
Attentif à ne pas perdre le public en l’accablant de chiffres et de stratégie boursière, l’auteur a intelligemment choisi le thriller pour opérer une plongée fascinante, haletante et compréhensible pour les non-initiés, dans l’univers impitoyable de la finance, entre lâcheté, stress, déraison et hystérie.
Mais surtout, dans ce film qui déménage, brillamment interprété par Arthur Dupont dans le rôle de Kerviel et François-Xavier Demaison dans celui de son mentor (photo), Christophe Barratier raconte, sans prendre de gants, le parcours d’un homme immergé dans un vertigineux monde virtuel. Dévoré par son ambition, perdant le contact avec la réalité, il est devenu le symbole des dérives d’un système obscène de rendement à tout prix, avant de se faire manger.
Centré sur l’humain englué dans une spirale infernale, l’auteur évoque la personnalité de Jerôme Kerviel, né en 1977 dans le Finistère, où il mène une vie très ordinaire entre ses parents et son frère. Après avoir obtenu un DESS de finance (diplôme d’études supérieures spécialisées), il entre en 2000 à la Société Générale par la petite porte. Mais il apprend vite pour devenir «bonne gagneuse», une «cash-machine».
Si cette immersion dans un univers inconnu l’a passionné, Christophe Barratier (photo) ne voit pas L'Outsider comme un film sur le monde du trading. «Pour moi, c’est Jérôme avant Kerviel», nous expliquait-il lors d’une récente rencontre à Genève.
Après Les choristes et la nouvelle guerre des boutons, il est assez étrange que vous vous soyez intéressé à un tel sujet. D'autant que vous avouez votre totale ignorance en la matière. Alors, quelle est la genèse de L’Outsider?
Il est né d’une rencontre fortuite en 2011. Un ami producteur m’a amené un invité surprise lors d’un dîner chez moi. C’était Jérôme Kerviel. A début je n’osais pas trop, mais vers minuit je lui ai demandé ce qu’il vivait depuis trois ans. Et on a discuté jusqu’à 5 heures du matin. Je me suis passionné pour le parcours d’un type qui s’est retrouvé avec la plus grosse fraude de l’histoire. J’ai alors voulu montrer comment les éléments qui ont conduit au drame s’étaient mis en place de 2000 à 2008.
Je suppose que cela vous a demandé un monumental travail de recherche et de documentation. Et une montagne d’obstacles à surmonter.
Effectivement. C’est tellement compliqué. Outre celui de Kerviel, J’ai lu des tas de bouquins, vu des reportages pour tenter de maitriser le sujet, en comprendre les enjeux. Mais je n’ai pu obtenir aucune aide des anciens collègues amis ou supérieurs de Jérôme qui, à part évoquer un loup solitaire qui a menti, ont tous refusé de parler de lui. Même à charge. Une loi du silence qui m’a compliqué la tâche.
Kerviel a-t-il participé au scénario
Non, Mais il m’a raconté la façon dont il a vécu la vécu les choses la manière dont elles se passent dans la salle de trading. Je l’ai consulté, comme d‘autres, au sujet de la technique, du vocabulaire, des produits spécifiques traités, dont je n’avais aucune idée.
On pense bien sûr au Loup de Wall Street de Scorsese en voyant l’Outsider. Notamment en raison du côté coke, sexe, alcool boîtes. Pas forcément dans cet ordre d’ailleurs.
D‘abord on est loin, en France, des excès américains. Ensuite, Kerviel n’est pas du tout du genre bling-bling. A l’époque des faits, il sortait peu, ne prenait pas de coke, louait un deux-pièces à Neuilly ne s’intéressait pas spécialement aux fringues, ni aux grosses voitures. Il n’avait pas de permis de conduire et se déplaçait en métro.
A-t-il vu le film ?
Oui, il a été très touché. Choqué. Je ne le ménage pas, je le montre avec ses névroses, quand il frappe sa copine. Malgré tout, je vais vous dire. C’est un gars bien. Il est loyal, honnête. Pour moi, c’est l’homme le plus sûr du monde. Je lui confierais sans hésiter mes biens les plus précieux.
A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 22 juin.
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