Grand écran: "Les ogres", un film qui s'auto-dévore dans la démesure. Avec Adèle Haenel. (12/04/2016)
Léa Fehner nous plonge dans l’univers du théâtre itinérant avec Les ogres, comédiens exubérants sillonnant les routes de France avec leur chapiteau sur le dos, s’arrêtant de ville en ville pour faire leur show, qui tient à la fois du cirque et du spectacle forain.
La réalisatrice de 34 ans s’inspire de sa propre vie, ayant elle-même grandi dans ce milieu au cours des années 90. Ce sont ses souvenirs qui nourrissent une histoire évoquant le quotidien d’une troupe façon grande famille recomposée, sorte de microcosme social où on partage tout, où chacun se mêle de tout dans une absence totale d'intimité. Comme de l’arrivée imminente d’un bébé et du retour d’une ancienne amante qui vont raviver des blessures prétendument oubliées, prétextes à la dramatisation exacerbée du récit.
Et Léa Fehner ne fait pas dans la dentelle. Caméra indiscrète fouinant partout en perpétuel mouvement, bouillonnement permanent et à son comble chez ses ogres foutraques. Felliniens sur les bords, ils s’aiment, se déchirent et se dévorent à grand renfort de cris, de hurlements, d’épuisantes démonstrations outrancières de sentiments et d’émotions. Une débauche de vie et d’énergie virant à une démesure et une hystérie qui finissent tout de même par lasser.
En haut de l’affiche de l'opus pour lequel Léa Fehner s'est notamment entourée de son père, sa mère et sa soeur: Adèle Haenel, lâchée dans une arène en effervescence. César de la meilleure actrice l’an dernier pour l’excellent Les Combattants, actuellement également au théâtre à Paris dans Old Tiîmes d'Harold Pinter, elle était récemment de passage à Genève.
Forte personnalité, la jeune femme, un rien hostile, s’agace qu’on puisse lui demander son sentiment sur ceux que provoquent sa belle ascension dans le métier. «Nouvelle tornade du cinéma français» lui arrache par exemple un «ouais, super» pour le moins dédaigneux… En revanche «féministe» lui va. Rebelle aussi, un peu, enfin elle ne sait pas… Surtout, elle s’en moque. «Ce n'est pas à moi de le dire. Pensez de moi ce que vous voulez».
L'essentiel, c'est la rencontre avec un réalisateur ou une réalisatrice, la promesse contenue dans un scénario, comme celui de Léa Fehner et de ses deux coauteures. La jolie Adèle en serait-elle une, d'ogresse? En tout cas, le film lui a fait du bien. «Il est bruyant, excessif, n’est pas dans la subtilité. Il réveille, remet au centre une vie qui n’a rien de tempéré. Il parle de la confrontation à l’autre, de l’altérité. Il y a une vibration politique hors d’une rationalité dont on nous rebat les oreilles. Et puis ce qui m’a plu, c’est l’improvisation totale qu’il y a dans certaines scènes. C’est génial. On a peur, mais on éprouve du plaisir».
Pour Adèle Haenel, créer un microcosme n’est pas forcément l’ambition de l'auteur. «Certes cela reste une microsociété. Mais l’important c’est le vivre ensemble. Avec des différences assumées. Chacun est venu avec ce qu’il était. Il ne s’agit pas de mettre les gens dans une case. C’est précisément l’inverse. Trouver sa place au sein d’une telle troupe, c’est assez galvanisant. Il faut viser le moment juste. L’équilibre. Oublier la caméra. Assumer la limite de ce qu’on est».
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 11 avril.
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