Grand écran: avec "Les innocentes", Anne Fontaine raconte un bouleversant drame historique. Interview (23/02/2016)
Dans son dernier film, la réalisatrice, scénariste et comédienne Anne Fontaine s’est intéressée à une tragédie datant de décembre 1945 en Pologne, le viol et le meurtre de nonnes par des soldats soviétiques.
Jeune interne de la Croix-Rouge française, chargée de soigner ses compatriotes avant leur rapatriement, Mathilde Beaulieu est appelée au secours par une soeur et découvre, parmi trente Bénédictines vivant coupées du monde, que plusieurs d’entre elles, tombées enceintes dans ces circonstances dramatiques, sont sur le point d’accoucher. Avec ce que cela implique d’indicible pour la communauté.
Les innocentes est une histoire authentique, poignante, au rythme contemplatif, sur des images magnifiques de la cheffe opératrice Caroline Champetier. Anne Fontaine la traite avec sobriété et pudeur. Tout en explorant la maternité et la foi, elle fait se rencontrer deux univers. D’un côté celui, monacal, de ces religieuses attachées aux règles de leur vocation, de l’autre celui, rationaliste, de Mathilde athée et communiste. Se tissent alors des relations complexes aiguisées par le danger latent.
Après avoir suivi une formation accélérée auprès de sages-femmes, Lou de Laâge incarne avec conviction, évitant la compassion facile, cette femme aussi émouvante que courageuse, tout en mesure, retenue et efficacité, aux côtés d’un Vincent Macaigne oubliant pour une fois son côté avachi et agaçant, et qui apporte une note de légèreté bienvenue dans une atmosphère lourde.
Une première plongée dans la grande Histoire
De passage à Genève Anne Fontaine, cinéaste éclectique, auteur entre autres de Nettoyage à sec, Comment j’ai tué mon père, Nathalie, La fille de Monaco, Coco avant Chanel, Perfect Mothers, Gemma Bovery, nous parle de ce film qui est sa première véritable plongée dans la grande Histoire.
Elle a découvert ce drame grâce au neveu de cette femme médecin, Madeleine Pauliac. Il a gardé des écrits où elle racontait son activité professionnelle de manière laconique et scientifique, jusqu’au moment où elle rencontre ces sœurs. Une sorte de journal de bord pas du tout romancé, dénué de toute dramaturgie, "Il a été travaillé scénaristiquement par Pascal Bonitzer et moi" .
Le neveu y avait néanmoins vu la source d’un film qui redonnerait vie à sa tante, une vraie héroïne révolutionnaire, morte à 33 ans. "C’est alors que deux producteurs, Eric et Nicolas Altmayer m’ont approchée en pensant que c’était un sujet pour moi. Sans doute par rapport à certaines de mes thématiques, à la transgression, à la désobéissance, à des personnages féminins hors norme. Et il est vrai, après avoir enquêté pour vérifier les faits, que j’ai été tout de suite happée par la situation sidérante de ces sœurs".
Vous dites même que le sujet a résonné en vous de façon personnelle. Pourquoi ?
J’ai deux tantes dans les ordres. J’ai reçu une es. j’ai reçu une éducation catholique, j’ai été élevée dans les chants grégoriens par mon père qui était organiste, ma mère faisait des vitraux, j’ai adopté un enfant-
Vous vous êtes également retirée à deux occasions dans des couvents, de Bénédictines non loin de Paris, pour vous imprégner de l’ambiance et surtout ajuster de l’intérieur la véracité de la vie monastique.
Effectivement. D’abord au monastère de Vanves, où j’ai rencontré la mère supérieure ainsi que le père abbé qui faisait justement une conférence sur la fragilité de la foi. Puis je me suis rendue à l’abbaye de Jouarre, A chaque fois j’y suis restée trois jours. .
Vous avez découvert le côté très particulier de l’existence dans ces communautés, ce monde autarcique coupé du nôtre
Le rapport à la vie est très différent. Si on trouve des êtres humains qui s’opposent, des tensions, il y a ces rites qui scandent la journée, la prière, le rapport à la foi, celui des des femmes entre elles, le sacrifice de la maternité pour se donner au Christ à vie. J’ai suivi leur rythme de vie, fait un peu de ménage, pelé des légumes.
Ce film est d’une grande modernité Vous l’avez présenté au Vatican. Comment a-t-il été reçu ?
L’assemblée de religieux qui l’ont vu se sont reconnus. Un évèque proche du pape François a parlé de la force de reconnaitre et de voir une histoires comme celle-ci de la ressortir de l’oubli, Et il a ajouté qu’elle était thérapeutique pour l’Eglise,
"Les Innocentes" résonne aussi aujourd’hui dans la mesure où le viol est utilisé comme une arme de guerre.
C’est affreux à dire mais c’est quelque chose qui est parfois encouragé, de manière tacite évidemment, quasiment dans tous les pays en conflit. Cela a fait réagir beaucoup de gens constatant que les choses n’ont pas beaucoup changé.
Deux mots sur les comédiens qui sont tous excellents. A commencer par Lou de Laâge.
J’étais partie sur une autre comédienne, mais cela ne s’est pas réalisé. J’ai alors organisé un casting et en voyant Lou de Laâge, je lui ai trouvé, outre son visage très cynégétique, beaucoup de caractère, de détermination, de grâce et de mystère.
Et Vincent Macaigne ?
C’est un acteur atypique, original, inventif. Il a quelque chose de doux et met de la drôlerie et de l’humour. Mais il devait être tenu. Je l’ai stylisé, nettoyé, lui ai fait couper ses cheveux et l’ai obligé à porter un corset sous son uniforme pour qu’il se tienne droit…
Film à l’affiche dans les salles romandes dès mercredi 24 février.
15:23 | Lien permanent