Grand écran: "Béliers", émouvant drame fraternel sur fond de chronique rurale islandaise (08/12/2015)
Eleveurs de moutons. les frères Gummi et Kiddi vivent près l’un de l’autre mais ne se parlent pas depuis quarante ans. Comme chaque année, ils participent à un concours de beauté pour béliers que l’un d’eux remporte sous le nez de l’autre. La jalousie aidant, il y a de quoi séparer davantage, si possible, ces deux vikings bougons et obstinés, déjà cachés dans leur maison respective. Mais pas heureux pour autant.
Ils devront pourtant oublier leurs blessures secrètes et s’unir pour sauver leurs bêtes promises à l’abattage suite à une redoutable épidémie de tremblante. Des bêtes qu’ils aiment d’amour et pour lesquelles ils sacrifient tout, à l’instar des autres villageois. Le réalisateur islandais Grimur Hàkonarson en profite pour évoquer, au-delà du drame fraternel, le quotidien rude et solitaire d’une communauté reculée, vivant au milieu de paysages hivernaux d’une splendeur glacée.
Cette chronique familiale et rurale en forme de conte universel déborde d’humanité, de tendresse, de bienveillance et d'humour décalé. Elle a valu à son auteur le Prix d’Un certain regard au dernier Festival de Cannes. «C’est l’un des plus beaux moments de ma vie, sinon le plus beau. J’étais d’autant plus surpris que je ne m’attendais même pas à être sélectionné au départ», nous raconte Grimur Hakonarson, de passage à Genève.
Son film a cartonné dans le milieu puisqu’il a reçu vingt autres prix dans différents festivals comme Valladolid, Thessalonique ou Zurich. Un travail de cinq ans, dont trois d’écriture, bien récompensé. «J’y ai mis mon âme et je l’ai fait pour mes ancêtres. Au sens large».
Béliers est votre deuxième long-métrage. Comment l’idée vous en est-elle venue ?
Mes parents ont grandi dans une ferme et quand j’étais petit j’ai souvent passé des vacances chez mon grand-père. Je connais la culture du mouton. Et c’est mon père qui m’a raconté cette histoire de deux frères vivant l’un à côté de l’autre sans s'adresser la parole. Je la trouve à la fois tragi-comique, intéressante et révélatrice. En même temps j’avais envie d'explorer le rapport entre l’homme et les animaux, cette communauté obligée d’abattre ses bêtes. Au début cela parlait davantage de cela, puis les choses ont évolué vers cette relation contrariée et conflictuelle entre les deux frères.
Il y a peu de femmes dans votre récit.
En fait il y a énormément de célibataires dans les endroits que je connais en Islande. Les hommes restent à la ferme et les femmes s’en vont. Si vous vivez seul avec des moutons à qui vous vouez une véritable passion, leur perte est encore plus importante, plus tragique. C’est surtout ce que j’essaye de montrer.
Vos deux comédiens principaux Sigurour Sigurijonsson et Theodor Juliusson ont-ils eu du mal à s’adapter à ce tournage exigeant?
Non, ce sont des professionnels chevronnés. Ils ont lu des livres sur la vie à la ferme pour mieux s’imprégner de leur personnage. Ils ont dû se laisser pousser la barbe. Nous avons aussi beaucoup répété les dialogues. Mais l’essentiel était qu’ils sonnent authentiques. C’est mon style. La plupart des acteurs sont à mon avis trop jolis dans ce genre de rôles.
Et les moutons, vous ont-ils donné du fil à retordre?
Pas autant que le craignais. On m’avait dit que ce serait impossible. J’étais inquiet, je n’avais pas trop de temps pour le tournage. Mais nous avons déniché des béliers parfaits, stables, calmes. Ils se sont révélés excellents face à la caméra à laquelle ils se sont habitués petit à petit. Il y en a eu jusqu’à 200 dans une scène. On pouvait les toucher. Nous avions un spécialiste pour nous aider.
Deux mots sur ce singulier concours de beauté pour béliers qui ouvre le film.
C’est une tradition. Ces compétitions ont lieu en septembre après la désalpe. C’est très sérieux, très professionnel. Les béliers sont examinés sous toutes les coutures. Et le gagnant est particulièrement fier d’avoir présenté le plus beau. C’est aussi une occasion d’être ensemble pour les gens..
Il paraît que vous vous êtes si bien entendu avec les béliers que vous envisagez de ne mettre que des animaux en scène.
Ce ne sera en tout cas pas le sujet de mon prochain long métrage, puisqu’il s’agit d’un film lesbien… Je vais faire un pas de côté, raconter une histoire politique avec une signification politique.
A l’affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 9 décembre.
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