Grand écran: "Le fils de Saul", quête insensée d'un homme dans l'innommable (03/11/2015)

Le-Fils-de-Saul-la-critique[1].jpgOctobre 1944, camp de la mort d'Auschwitz. Juif hongrois, Saul Ausländer est membre d'un des Sonderkommandos, formés de déportés plus costauds que les autres, recrutés par les nazis et forcés de les assister dans la macabre mise en œuvre de la solution finale. Avant, ce qu'ils savent parfaitement, d'être liquidés eux aussi.

Avec d'autres prisonniers, Saul vit des expériences effrayantes dans des conditions épouvantables. Inlassablement, il est chargé de faire descendre les juifs des convois, les oblige à se déshabiller, à laisser leurs vêtements suspendus à un clou puis à entrer dans les chambres à gaz où il les pousse pour en entasser un maximum.

Puis il doit déblayer les «pièces» selon le vocabulaire allemand et les transporter jusqu'aux fours. Ces gestes, il les exécute mécaniquement, imperméable à l'horreur qui l'entoure.

Il est en train de travailler dans un crématorium quand, au milieu d'innombrables cadavres, il croit reconnaître celui de son fils. Tandis que son Sonderkommando prépare une révolte (qui a réellement eu lieu), il est obsédé par l'idée de sauver l'enfant des flammes, de préserver son corps, et de trouver un rabbin pour lui offrir une sépulture digne.

L'atrocité du quotidien

Cette quête a priori dérisoire en des circonstances aussi atroces représente pourtant un acte ultime de résistance dans cet univers concentrationnaire. Une petite lueur d'humanité dans la nuit la plus noire.

Innovant dans la forme, pour approcher au près l'enfer d'un camp d'extermination, Laszlo Nemes, 38 ans, héritier du maître Béla Tarr, a choisi la fiction pour plonger le spectateur dans l'innommable quotidien de son héros, remarquablement interprété par l'impressionnant Réza Röhrig (photo), New-Yorkais d'origine hongroise.

En même temps, ce n'est pas un film sur l'Holocauste qu'il a décidé de ne pas représenter. Mais sur la brève existence de ces Sonderkommandos obligés de conduire les leurs, jusqu'à 400.000 en trois ou quatre mois, à la mort avant d'y passer eux-mêmes. Car c'est exclusivement de cela qu'il s'agit. Comme il le dit lui-même, il s'agit d'un film sur la réalité, la mort, l'absence totale d'espoir. Contrairement aux fictions traitant de la Shoah de façon insatisfaisante à son avis, parlant de survie, d'entraide, avec surcharge émotionnelle et dramatique. 

Suggérer est plus fort que montrer

Filmant son héros vidé de toute émotion en plan serré, le réalisateur ne donne à voir que ce qu'il voit, prenant soin d'éviter toute complaisance, tout voyeurisme. S'arrêtant aux portes des chambres à gaz, il laisse l'horreur des exécutions massives hors champ ou la suggère, ce qui est plus fort que la montrer, par des images floues.

D'un bout à l'autre, s'en tenant au seul point de vue de Saul, excluant tout ce qui n'est pas essentiel à son histoire, il s'applique à suivre en continu pendant une journée et demie les déplacements de cet homme  entre les fours et les fosses communes, exécutant ses gestes, mécaniquement, imperméable à l'horreur qui l'entoure. Porté par une foi inébranlable, il est uniquement préoccupé par sa mission insensée. 

Laszlo Nemes, dont une partie de la famille a été assassinée à Auschwitz, a décidé de traiter ce sujet après avoir trouvé un incroyable recueil de textes Des voix sous la cendre écrit en secret et enterré par des membres du Sonderkommando. 

Un travail de mémoire pour les générations futures que ce film choc étouffant, au traitement radical, à l'esthétique sépulcrale, rythmé par des sons mous, des cris, des ordres, des grincements de chariots. Et une immersion dans l'insoutenable qui vous secoue, vous touche d'une manière viscérale, vous laisse complètement sonné à l'issue de la projection. Il a gagné le Grand Prix du jury au dernier festival de Cannes, mais aurait mérité la Palme d'Or.

A l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 4 novembre.

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