Cinéma: Black de choc dans "Bande de filles". La réalisatrice Céline Sciamma nous en parle (29/10/2014)
Le film ouvre sur un match de football américain musclé, où s’affrontent des Black plutôt costaudes. Une façon d’annoncer la couleur sur fond de banlieue et de guerre des sexes pour Céline Sciamma qui, après Tomboy, revient à l’adolescence avec Bande de filles.
Dans son troisième long-métrage, elle suit Marieme, 16 ans, en butte à une succession d’impasses et d’interdits. En échec solaire, en rupture avec sa mère, elle s’occupe de ses deux petites sœurs et subit les brutalités de son grand frère dans un quartier où les mâles font la loi.
Jusqu’au jour où elle rencontre Lady et deux autres loubardes noires, Adiatou et Fily, avides de s’émanciper du rôle archaïque assigné par les mecs. Sous le nom de Vic, Marieme rejoint le trio de frondeuses, se coule dans le moule, se virilise et découvre la saveur de la liberté entre combats de rues et virées à Paris, dont une soirée déjantée dans une chambre d’hôtel. Mais en s’échappant de chez elle, elle tombe sous une autre emprise…
Juger n’est pourtant pas le but de Céline Sciamma dans cet opus physique, qui tient du grand roman d’apprentissage universel et intemporel, où elle sort du strict sujet de société. Tout en évitant l’exotisme, elle révèle de sulfureuses beautés non professionnelles au corps de rêve. Et qui se donnent à fond, à l’image de la féline Karidja Touré, qui est de tous les plans. Elle est entourée d’Assa Sylla (Lady) Lindsay Karamoh (Adiatou) et Marietou Touré (Fily)
Sélectionné en ouverture de la Quinzaine cannoise des réalisateurs en mai dernier, Bande de filles avait reçu un accueil à la hauteur de l’attente qu’il avait suscitée .De quoi ravir Céline Sciamma (photo), récemment rencontrée à Genève.
"Mes films précédents traitaient de l’intime, celui-ci évoque l’altérité. Des filles que je croise tout le temps aux Halles, dans le métro, Gare du Nord, qui occupent l’espace public, vivent en groupe, dansent, chahutent. Mais on ne les voit jamais sur grand écran".
-Comment les avez-vous choisies?
-Nous nous sommes lancées dans un vaste recherche de quatre mois avec Christel Barras, ma directrice de casting, entre les agences, les cours de théâtre et la rue. Nous avons auditionné environ 150 filles, dont beaucoup étaient des candidates possibles.
-Bande de filles est un film engagé dans tous les domaines.
-Absolument. Il n’y a pas de frontières entre l’émotionnel, la politique et l’esthétique dans cette chronique d’une amitié. Je veux montrer comment le groupe permet d’exprimer des sentiments de solidarité, la sororité. Je questionne aussi l’origine de la domination. Marieme refuse le modèle de la précarité, la violence sociale. Elle refuse d’être le larbin de quiconque, même si elle doit s’adapter au code de la rue en livrant de la drogue.
-La meneuse du groupe, Lady, organise des combats entre filles. Vous souhaitiez montrer leur violence?
-Oui et me livrer du coup à une réflexion sociologique. Je me suis documentée sur le sujet. J’ai découvert que contrairement à ce qu’on nous laisse croire, les filles ne sont pas plus brutales et les bandes pas plus nombreuses qu’avant. Ce sont des légendes urbaines qui arrangent tout le monde.
-
-Vous donnez à voir un côté graphique, stylisé de la banlieue.
-J’aime aller où ça bat fort. C’est de là que je viens et je regarde les endroits dans leurs potentialités. Le quartier que je décris, Bagnolet, existe dans son intégrité. Il y a une grande pensée urbanistique.
-J’ai lu que vous avez entretenu un rapport de rituel presque religieux avec le cinéma.
-C’est vrai, il s'gisait d'une quête encyclopédique, à 13-14 ans. Une forme de fétichisme. Je m'y rendais trois fois par semaine. Seule. Le cinéma m’a structurée. Toute ma vie était organisée autour. Il fallait gagner de l’argent pour payer le billet. Acheter une mobylette...
-Comment envisagez-vous la suite?
-J’en ai fini avec l’enfance et l’adolescence. J’ai envie d’autre chose, de travailler avec des professionnels. Les actrices qui m’intéressent, ce sont les jeunes qui montent, Anaïs Demoustier, Adèle Haenel, Céline Sallette. Car je continuerai avec la création de l’identité féminine. J’imagine un thriller fantastique féministe.
Film à l'affiche dans les salles de Suisse romande dès mercredi 29 octobre.
06:00 | Lien permanent