Festival de Locarno: Fernand Melgar et "L'Abri": "Je suis la mauvaise conscience de la Suisse" (10/08/2014)
Après La Forteresse et Vol Spécial, le cinéaste vaudois Fernand Melgar nous plonge au cœur de L’Abri, un centre d’hébergement d’urgence pour SDF à Lausanne, bouclant ainsi en principe sa trilogie sur la migration. Le premier parle d’entrée en Suisse, le second évoque la fin du voyage. L’Abri, en lice pour le Léopard d’Or est une sorte de no man’s land, un entre-deux entre l’arrivée et le départ.
Dans ce troisième volet qui peut en appeler un quatrième ("ce sont les films qui me choisissent"), Fernand Melgar et Elise Schubs, sa preneuse de son auteure d’un formidable travail, nous emmènent dans un souterrain jusqu’à la porte du centre. C’est l’hiver, le froid mord, il neige. Chaque soir se déroule le même rituel d’entrée dramatique qui provoque des bousculades parfois violentes.
La lourde tâche du tri des démunis
Trois veilleurs ont la terrible tâche de trier les démunis, laissant pénétrer d’abord les personnes âgées, les handicapés, les femmes et les enfants, puis les hommes. Alors que la capacité est de 100 places, seuls 50 seront admis et auront droit à un repas et à un lit. Pour les autres, la nuit sera dure. Comme la suivante et toutes celles d’après jusqu’en mars.
La technique de Melgar, c’est l’immersion totale. Pendant six mois, lui et Elise Schubs ont vécu au milieu des sans-logis, attendant avec eux à l’extérieur et pénétrant aussi à l’intérieur du centre. Et cela après un long travail de recherche et de préparation, qui a également duré six mois, sans caméra, pour approcher les gens dans la rue à la soupe populaire, expliquant leur démarche pour établir une relation, gagner leur confiance.
Des êtres humains cherchant à survivre
Ceux qui fréquentent l’Abri sont en majorité des citoyens de l’Est et du Sud de l’Europe. Ce ne sont pas des clandestins, ils ont des papiers, des passeports et fuient la crise. Ce sont des migrants économiques, des working poors avec enfants à charge. Ils touchent des salaires de misère ne leur permettant pas d’avoir un logement. "Il n’y a pas de différences entre eux et les personnages de mes films précédents. Ce sont tous des êtres humains qui cherchent désespérément à s’en sortir".
Le reproche qu’on peut faire à Melgar c’est de ne pas porter de jugement. Par exemple sur les gérants du lieu, dont un se révèle particulièrement odieux. En même temps, il ne faut pas être grand clerc pour voir où vont ses sympathies. Mais il ne veut pas catégoriser. "Il n’y a pas de gentils, de salauds, mais des êtres humains qui essayent de trouver un terrain d’entente. On attend de moi des réponses alors que je suis le témoin d’une réalité qu’on cache, qu’on veut oublier".
"Je n’ouvre pas des portes mais des fenêtres"
"Mon cinéma est celui de l’intranquillité. Je suis la mauvaise conscience de ce pays. J’essaye de faire réfléchir les gens. Je pose des questions à mes concitoyens après le vote du 9 février qui a conduit à la fermeture des portes. En même temps, c’est un message d’espoir. J'ouvre des fenêtres".
Il a ainsi réalisé L’Abri pour lever le voile sur des victimes du silence et de l’ignorance, sur une humanité à la dérive que Lausanne occulte comme si elle faisait tache dans le paysage. "Comment dans ma ville peuvent exister ces fantômes, ces citoyens de seconde zone ? Quand j’en parle avec des amis, ils me croient à moitié. Puisqu’il faut voir pour le croire, je montre".
Et Melgar le montre dans un film fort, dérangeant, bouleversant racontant ce lieu dit d’accueil mais surtout de tri, dont les barrières interdisant l’entrée à certains représentant la loi et l’autorité. Il a posé d’énormes questions morales à son auteur. "Pour moi le fondement de la société moderne c’est le respect des droits humain. Or c’est le contraire dans ce film. Aujourd’hui on glisse vers l’exclusion, l’élite, écartant de notre chemin ceux qui sont dans le besoin".
Il reste à espérer qu’il sera mieux compris par le jury que Vol Spécial qui avait poussé, il y a trois ans, le président Paulo Branco à traiter l’opus de fasciste…
Andrea Staka propose "Cure-The Life Of Another"
Autre représentante suisse en compétition, Andrea Staka, lauréate en 2007du léopard d’Or pour son premier long-métrage Das Fräulein. Avec Cure–The Life Of Another, la réalisatrice originaire d’ex-Yougoslavie situe son action à Dubrovnik, en 1993, après la guerre.
L’histoire est celle de Linda, 14 ans. Née en Croatie elle a grandi en Suisse et retourne dans son pays avec son père. Elle y rencontre Eta, qui l’entraîne dans une forêt dangereuse sur les hauteurs de la ville. Les deux adolescentes jouent à un échange d’identité plein de sous-entendus sexuels jusqu’à ce que Linda pousse son amie dans le vide.
Revenue seule, elle prend peu à peu la place d’Eta dans la famille de cette dernière. Au bord du gouffre, elle perd pied, hantée par les images de la chute mortelle de sa nouvelle amie. On reste plutôt perplexe devant le message du film, décevant dans la mesure où il promet plus qu’il ne tient. On attendait davantage de la talentueuse cinéaste qui, chose rare, avait fait salle comble lors de la projection de presse. On retiendra toutefois la beauté de son actrice principale, Sylvie Marinkovic.
"Durak", un film russe aux allures de Léopard
Jusqu’à présent, le meilleur film de la compétition c’est Durak, du Russe Yuri Bykov. Il met en scène Dima Nikitin, un plombier honnête qui habite une petite ville. On découvre son exceptionnelle intégrité lorsque qu’un vieil immeuble mal construit de neuf étages, abritant principalement des ivrognes et des marginaux, menace de s’écrouler suite à une explosion.
Tout le monde doit être immédiatement évacué, mais c’est le cadet des soucis des élus locaux qui célèbrent l’anniversaire de la maire au restaurant. Dima se lance alors dans une course contre la montre qui lui sera fatale, pour tenter de convaincre les bureaucrates pourris et corrompus jusqu’à l’os de se remuer et éviter une catastrophe qu'il estime imminente.
Critiquer la corruption au pays de Poutine n’est pas une nouveauté. Mais il y a la manière. Et ce faisant, Yuri Bykov livre un film coup de poing haletant, qui allie l’excellence de la mise en scène à celle du traitement et à la belle prestation des acteurs.
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