Cinéma: "L'expérience Blocher", portrait d'un homme et d'un pays (29/10/2013)

bron[1].jpgC’était l’un des films le plus attendu du dernier Festival de Locarno. En raison de la personnalité de son protagoniste bien sûr, mais également suite aux à la polémique provoquée par les critiques socialistes autour de la subvention fédérale allouée à un documentaire sur un politicien de droite.

Plus précisément le ténor de l'UDC, qui a forcé Jean-Stéphane Bron à se poser quelques questions avant de mener son projet à terme. A commencer par celle-ci? Comment faire le portrait de quelqu’un dont on ne partage ni les idées, ni les méthodes, ni les convictions? Le ràalisateur y répond avec une expérience de cinéma en mettant en place une stratégie, comme dans ses œuvres précédentes.

La voiture, un poste d’observation

Il ne propose donc pas une enquête dans cette fable sur le pouvoir à valeur de document, émaillée de clins d’œil au septième art, notamment  (c’est un peu sa limite à cet égard) au célèbre Citizen Kane d’Orson Welles. Il nous livre avant tout un face à face inédit se déroulant essentiellement dans une voiture sillonnant les routes de Suisse..

Un poste d’observation pour le cinéaste qui raconte de l’intérieur, en voix off et à la première personne l’histoire du tribun zurichois en campagne dès l’automne 2011 pour les élections fédérales. Une façon de s’impliquer dans le processus en créant un hors-champ.

Un milliardaire et une bête politique

1410899_pic_970x641[1].jpgAu cours de ce périple rythmé par des discours, des rencontres avec ses partisans, les non familiers de l’homme découvrent la vie de ce fils de pasteur pauvre aux origines allemandes né dans une fratrie de dix, qui va devenir en quelques années et sans état d’âme un industriel milliardaire.   

Ainsi qu’une bête politique qui a provoqué, contre toute attente, le refus des Suisses d’entrer dans l’EEE en 1992.Le fameux dimanche noir. Et pourtant la star, accédant au Conseil fédéral en 2003 avant d'en être évincée quatre ans plus tard, a exercé une telle influence dans les années 1990 et 2000, qu’elle en profondément a modifié le paysage politique helvétique.

Ceux qui attendent un opus agressif, à charge, réglant le sort d’un vilain bonhomme à coup de critiques ou de révélations explosives seront déçus. Même si le film ne sert pas la cause de Blocher ou de son parti, Bron conservant une distance critique.

Pas de pour ou de contre

Ils n'apprendront rien sur l'homme public dans ce film de cinéaste qui n'avait pas l'intention de faire un pour ou un contre. Mais de boucler en quelque sorte une trilogie commencée avec Le Génie helvétique en 2003 tourné avant la crise économique, Cleveland contre Wall Street (2010) pendant et L’expérience Blocher après. "Le fil rouge est la démocratie à travers un prisme qui est Blocher", explique-t-il.

oc705009_p3001_176473_4_-36655534[1].jpgEn passant dix-huit mois au contact de l’un des politiciens les plus haïs et admirés du pays, n’a-t-il pas craint de se laisser manipuler? "Non. je ne lui donne pas la parole ». En fait le cinéaste l’en prive en racontant lui-même ce qu’il est et ce qu’il représente. Il rappelle d’ailleurs que le film s’intitule L’expérience Blocher, et non Le système Blocher. "Je raconte mon expérience avec lui. Notre relation n‘a pas évolué".

Dans l’intimité du tribun et de sa femme Silvia

Le cinéaste ne révèle pas non plus quelle a été la réaction de son "acteur" en se découvrant dans ce documentaire. "Secret médical", remarque-t-il, se contentant de déclarer qu’il n’a exigé aucun changement. "Tout ce qu’il a demandé à Christoph Blocher il l’a facilement accepté et c’était assez jouissif".

On pénètre ainsi dans sa maison, dans son intimité, le voyant comme personne ne l’a jamais montré. Insomniaque, en robe de chambre dans son salon, nager dans sa piscine, effectuer quelques mouvements de gymnastique en survêtement, se mettre de la crème sur le visage dans sa salle de bains, ou encore chanter un air d'opéra dans son château de Rhäzüns.

Sa femme Silvia, qui voyage pratiquement  toujours avec lui, s’est également pliée à une mise en scène pour le moins surprenante. Bron la filme en train de lire dans son lit, à l’hôtel, tandis que son mari travaille à côté…

La fin d’un homme, d’un règne

Certains ont reproché au cinéaste de glisser sur la surface, de ne pas avoir réussi à percer ses secrets, son mystère. D’avoir par exemple utilisé la voix off pour meubler, parce qu’il n’en avait pas appris autant qu’il l’aurait voulu.

"Pas du tout. Encore une fois c’est une expérience, Je n’ai pas posé de questions pour en savoir plus. Je n’ai travaillé qu’avec des sources connues. Je me suis interdit d’aller au-delà. Il s’est livré petit à petit. Au bout d’un an, j’ai découvert qu’il détestait le crépuscule. Il a des angoisses vespérales".

Et c’est bien le crépuscule d’un homme, la fin d’un règne qu’annonce ce documentaire qualifié de film de fantôme par l’auteur. Et qui, à travers le portrait sombre d'un Blocher finalement montré dans sa solitude, raconte aussi la Suisse. En explorant la part d’ombre qui sommeille en lui et dans le pays.

Film à l'affiche dans les salles romandes dès mercredi 30 octobre. 

 

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