Locarno: les Suisses Lionel Baier et Yves Yersin dopent le festival (11/08/2013)
C’est assez rare pour être signalé. Alors qu’il pédalait un peu mollement, le festival vient de passer à la vitesse supérieure grâce à deux cinéastes suisses. Avec une comédie jubilatoire, Les Grandes Ondes (à l’Ouest), Lionel Baier (photo) propose le meilleur film vu jusqu’ici sur la Piazza Grande, tandis qu’Yves Yersin, en lice pour le Léopard d’Or, nous touche au cœur avec Tableau noir, un documentaire sur une petite école neuchâteloise menacée de fermeture.
En deux mots, Les Grandes Ondes (à l’Ouest) nous ramène à avril 1974, où Julie la féministe et Cauvin le reporter de guerre sont dépêchés au Portugal pour faire un reportage sur l’aide économique suisse. Ils sont accompagnés de Bob, un technicien proche de la retraite qui ne quitte pas sa camionnette Volkswagen. Sur place la tension monte et rien ne se passe comme prévu. Décidés à rentrer à Lausanne, ils se retrouvent en pleine révolution des Oeillets.
Le talentueux Lionel Baier s’est appuyé des faits et des personnages réels pour réaliser cette fiction à la mise en scène très maîtrisée, pleine d’humour, portée par d’excellents comédiens comme Valérie Donzelli, Michel Vuillermoz, Patrick Lapp. Fidèle à sa réputation, ce dernier n’a pas manqué d’amuser la galerie lors de la conférence de presse en décrivant un tournage infernal, dirigé par un mégalomane fou doublé d’un tyran. Ajoutant que s’il faisait un film sans lui, il crèverait les pneus de toutes ses vieilles voitures...
L’intérêt de cette comédie enlevée, c’est aussi son ton. Cette liberté frondeuse que restitue le réalisateur à travers sa reconstitution des années 70, temps d’un soulèvement portugais qui s’est étendu à d’autres pays. D’où la dimension politique qui renvoie également à ce qui se passe aujourd’hui.
"En 1992, le refus de la Suisse d’entrer dans l’Europe a été un choc pour ma génération", remarque Lionel Baier, qui avait alors 17 ans. L’idée de l’Europe m’a construit. Ce qui se passe depuis trois ou quatre ans, la façon dont on traite les Portugais, les humiliations subies par les Grecs, les Italiens, les Espagnols, tout cela m’angoisse profondément. Je ne suis pas un cinéaste engagé, mais ce film est pour moi une piqûre de rappel".
Du coup, on attend avec impatience voir le cinéaste vaudois poursuivre dans son idée de tétralogie qui, après Comme des voleurs (à l’Est) et Les Grandes Ondes (à l’Ouest), le conduira tout naturellement au Nord (Grand-Bretagne et Danemark) et au Sud, en Italie.
"Tableau noir", une leçon de vie
On change complètement de registre, mais on garde la qualité avec Tableau noir, qui marque le grand retour à l’écran d’Yves Yersin, le fameux auteur de "«Les petites fugues" en 1979. On pouvait craindre qu’il ait perdu la main. Il prouve le contraire avec cette remarquable chronique scolaire à Derrière-Pertuis, un hameau perché sur les crêtes du Jura, dans le Val-de-Ruz.
Yves Yersin a filmé pendant un an une douzaine d’élèves de six à douze ans, partageant la même classe. On pense évidemment à Etre et avoir du Français Nicolas Philibert qui avait entrepris la même démarche en 2002. Mais Tableau noir n’a rien d’une copie. Il nous laisse découvrir un merveilleux instituteur et sa manière exemplaire, unique, d’enseigner. De l’orthographe au calcul en passant par l'apprentissage de l'allemand, la découverte de la nature, de la spiritualité, tout se transforme en un jeu passionnant doublé d’une véritable leçon de vie.
Toujours justes, naturels, attachants, souvent irrésistibles, les enfants sont évidemment les premiers protagonistes de la grande réussite de l’œuvre qui vous fait passer deux heures de pur bonheur. Et d’émotion. On ne peut s’empêcher de verser une petite larme à la fin, quand l’école condamnée ferme et que le professeur licencié s’en va. C’est voulu, mais on marche. A fond.
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