Sortie cinéma: Melvil Poupaud change de sexe dans "Laurence Anyways" (02/10/2012)
Le comédien français porte sur ses épaules le troisième film du Québécois Xavier Dolan. Après J’ai tué ma mère et Amours imaginaires, le jeune prodige de 23 ans s’est lancé dans un mélodrame particulièrement ambitieux de 160 minutes, Laurence Anyways. Il y suit dès 1989 et pendant dix ans le difficile parcours d’un professeur de lettres qui, se sentant femme depuis son enfance et en quête du grand amour, a décidé de changer de sexe.
Dans une mise en scène à la fois flamboyante, baroque, kitsch et queer, le talentueux cinéaste, qualifié de Fassinder pop ou de coqueluche tête à claques, reprend les thèmes qui lui sont chers. Dont les rapports avec la mère et le droit à la différence sexuelle. La réussite de ce très, sinon trop long métrage doit beaucoup à l'excellente interprétation de Melvil Poupaud, que nous avons rencontré à Genève lors du festival LGBTIQ Everybody’s Perfect.
Au départ, l’acteur fétiche de feu Raoul Ruiz n’était pourtant pas prévu pour le rôle. Il a remplacé au pied levé Louis Garrel qui s’est soudainemet retiré du projet trois semaines avant le début du tournage. Inutile de dire que Poupaud n’a pas eu le temps de stresser. D’autant que pressenti pour un caractère secondaire, il connaissait le scénario. Et comme en plus il avait aidé sa mère à monter un documentaire sur des hétéros se travestissant en femmes, le sujet lui était familier.
Une chance car les choses n’ont pas traîné A peine débarqué à Montréal, Melvil subissait déjà la torture de l’épilation et d’éprouvantes séances d’essayage de costumes. En revanche marcher avec des talons ne lui a pas posé de problèmes.
L’idée du film n’est pas de jouer la femme, mais que Laurence soit enfin elle-même.
Effectivement. Il fallait de la sobriété dans le jeu, éviter le côté hystérique grande folle ou drag queen. Par exemple, je n’ai pas changé ma voix, ce que font certains transsexuels. Mais c'est logique, car la prise d’hormones ne transforme pas la tessiture.
Cette conversion a-t-elle été perturbante?
Non, dans la mesure où j’ai souvent été en costume à l'écran. Une robe n’en était qu’un autre et je n’ai pas éprouvé de problèmes psychologiques à entrer dedans. Sauf un jour où je me suis regardé dans une glace et où je ne me suis pas reconnu. Je me tenais devant le miroir, épilé, hyper maquillé, avec mes faux seins en silicone, et j’avoue que j’ai un peu flippé.
"Mais en fait, ce qui m’a le plus dérangé, c’était le regard parfois ambigu des autres, des figurants, de membres de l’équipe qui avaient des soucis d’identité sexuelle. Il m’est arrivé de me sentir agressé par les yeux des machos posés sur moi. En même temps, ce rôle m’a conforté dans mon hétérosexualité. Je me suis même rendu compte qu’habillé comme elles, je plaisais presque plus aux femmes..."
Vous êtes de toutes les scènes. Avez-vous été tenté de mettre votre grain de sel?
Pas du tout. Je n’avais aucune envie d’imposer ma vision. Cela faisait longtemps que Xavier avait ce film en tête. Il savait exactement ce qu’il voulait. J’étais disponible à l’écoute et je lui faisais une confiance totale. C’est un metteur en scène exceptionnel. Il a une énergie folle. Il est incroyablement professionnel, travailleur. D’une telle exigence d'ailleurs qu’il peut se montrer dur. Dire des choses blessantes. Par exemple: "Tu es vraiment nul". Remarquez, il vaut mieux qu'il fasse ce genre de remarques avant que les spectateurs s'en aperçoivent...
Considérez-vous ce rôle comme un tournant dans votre carrière ?
Il marque en tout cas plein de choses. Je l’attendais depuis quelques années. J’avais très envie de travailler avec un jeune réalisateur. En outre le film a provoqué en moi de petits changements. je vais avoir 40 ans et je suis aujourd’hui davantage attiré qu’avant par les femmes de mon âge. Cela m’a aidé à mûrir.
Dans la foulée de Laurence Anyways, Melvil Poupaud s’est aussitôt retrouvé sur un autre plateau, en maréchal Masséna, notamment aux côtés de John Malkovich dans Les lignes de Wellington de Valeria Sarmiento. Le film se déroule en 1810 et retrace l’invasion du Portugal par les troupes de Napoléon. Et il va tourner un nouveau Frankenstein signé Philippe Pareno. "Je ne suis pas la créature, mais son créateur".
Cette boulimie de pellicule est liée au virus attrapé à l’âge de dix ans. "On n’en a jamais assez. Je fais un métier de frustré, d’égocentrique, de narcissique et de jaloux… "
Film à l'affiche aux Cinémas du Grütli.
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