Festival de Locarno: standing ovations pour Harry Belafonte (07/08/2012)
"Je me sens privilégié, vous n’imaginez pas la joie que je ressens à vous voir aussi nombreux...» Harry Belafonte, toujours beau et alerte à 85 ans, est interrompu par un tonnerre d’applaudissements, après la standing ovation qui a salué son arrivée au Forum et celle que le public lui avait réservée la veille sur la scène de la Piazza Grande où il avait reçu son Léopard d’honneur.
"Je ne dis pas ça par fausse humilité, car je suis une sorte de relique du passé", ajoute cet infatigable et ardent défenseur de la cause noire et des opprimés en général. "C’est grâce à la rétrospective consacrée à Otto Preminiger que j’ai la possibilité d’avoir un film au festival".
Otto Preminger, c’est l’auteur de Carmen Jones. "Avant, les gens de couleur avaient toujours été représentés dans les films comme des êtres inférieurs, assistés, risibles. Preminger a décidé d’une autre approche, de nous traiter comme n'importe quels autres êtres humains, en nous permettant de montrer notre propre force. Et c’était considéré comme risqué. Tourner un film black, c’était la garantie de perdre de l’argent, à l’image de Stormy Weather ou Cabin In The Sky, qui n’ont pas bien marché".
Première représentation d'un héros mâle noir
En revanche Carmen Jones, montrant pour la première fois un vrai héros mâle noir, eut un gros succès. "C'était aussi la première fois, grâce à ma partenaire Dorothy Dandridge, qu’on voyait une belle femme noire à l’écran au lieu des grosses servantes habituelles, roulant de grands yeux pour amuser leurs patrons". Seul bémol, ce ne sont pas nos voix, car les héritiers de Bizet ne l’ont pas permis".
Quoi qu’il en soit, le monde entier s’est amouraché de cette histoire à sa sortie, ce qui a rendu à la fois service à la cause et à l’industrie du cinéma. "Preminger en a ensuite tourné d’autres sur mon peuple, pour changer la manière de percevoir le monde dans lequel il vit".
A part ça, on ne parlera pas trop de cinéma lors de cette conversation. Qui s'est plutôt résumée à un long monologue. Quand il prend le micro, Harry Belafonte est intarissable. Né pauvre à Harlem en 1927, il se retrouve au théâtre par hasard à son retour de la guerre. Il n’a pas encore vingt ans et on lui assigne un rôle très secondaire, loin des planches. "J’étais l’homme à tout faire qui lavait les vitres et réparait les serrures. Et puis un jour, on m’a donné deux billets et j’ai eu une véritable révélation. Un monde s’ouvrait devant moi, j’ai découvert la puissance de la fiction, du scénario. Une véritable plateforme, que j’allais utiliser".
Marlon Brando a énormément compté
C’était le début d’un voyage où il s’est embarqué avec une brochette de comédiens comme Rod Steiger, Tony Curtis et surtout le plus important, Marlon Brando. "Pour moi il était au théâtre ce que Picasso est à la peinture. A sa mort, on a beaucoup trop parlé de sa réputation sulfureuse, de ses aventures avec les femmes, mais pas assez ou pas du tout de son âme, de son cœur, de sa vision sociale. C’était un artiste très engagé".
A propos d’engagement, Harry Belafonte, qui dit avoir notamment été très influencé par Eleanor Roosevelt et Martin Luther King, rappelle un séjour à Berlin en 1957, où il a fini par chanter, au Titania Palace, l’hymne des juifs en hébreu devant un parterre de jeunes Allemands. "Moi, un Américain noir, victime du racisme, qui ne pouvait voter ou manger dans certains endroits chez lui. Mais transcender la législation, c’est la mission de l’artiste. On peut emprisonner le chanteur, pas sa chanson".
C’est dans cet esprit qu’il est allé dans un festival à la Havane pour rencontrer Fidel Castro, ainsi que des gens qui ne pouvaient venir aux Etats-Unis. Et celui qui a permis à Miriam Makeba de venir en Amérique parler au nom des Sud-Africains et des Noirs américains, qui a approché le Ku-Klux-Klan, redevient un militant pur et dur aux accents de prédicateur quand on l’interroge sur le fait d’avoir ouvert la voie aux acteurs noirs à Hollywood. Et ce qu’il en est maintenant.
"L'argent a effacé les valeurs"
"L’argent semble avoir pris les devants, effacé les valeurs. Les artistes ont capitulé, abandonné leurs droits. Ce qui me trouble alors qu’on a n’a jamais eu autant de célébrités noires, c'est que la plupart n’ont jamais usé de cette plateforme exceptionnelle. Au lieu de dire ce qui se passe au Congo, ils font des films pour satisfaire les investisseurs".
"Nous sommes revenus sur notre identité, nous sommes dans un lieu où le capitalisme effréné fait qu’il n’y aura plus de bataille", ajoute-t-il avec colère. "Le pouvoir a corrompu Wall Street, la Suisse, les banques. Il faudra que ce système s’autodétruise". Pour Harry Belafonte, dont le festival va montrer, outre Carmen Jones dans le cadre de la rétrospective Preminiger, Sing Your Song, un documentaire sur sa vie, "les artistes sont les gardiens de la vérité. Lorsque leurs voix se taisent, la civilisation arrive à sa fin…"
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